Un de mes pote m'a envoyé ça :
Extrait de "Piège dans le Cyberspace" par Roberto Di Cosmo
Armoire à tiroirs et lavage de cerveaux
J'ai eu plusieurs occasions de mesurer personnellement la profondeur de ce sommeil hypnotique, mais la plus hilarante est sûrement celle qui s'est présentée pendant un voyage en TGV il y a quelque temps.
Les ordinateurs portables (ces embryons d'ordinateurs qui coûtent autant qu'une petite voiture, que l'on peut garder dans son cartable et qui servent très souvent à jouer au Solitaire) prolifèrent désormais presque autant que les téléphones mobiles, surtout dans les trains et les avions. Eh bien, pendant un de mes voyages je me suis retrouvé à côté d'un très gentil monsieur, jeune cadre dynamique, qui était en train d'exécuter sur sa machine le calamiteux (nous verrons pourquoi tout à l'heure) logiciel DeFrag. Celui-ci affiche une belle matrice remplie de petits carreaux de différentes couleurs qui bougent dans tous les sens, pendant que le disque traficote intensément.
Je n'ai pas pu résister à la tentation (ce monsieur ne m'en voudra pas trop, je l'espère, s'il se reconnaît dans cet article): après l'avoir complimenté sur son beau portable, je lui ai demandé, feignant la plus grande ignorance, ce qu'était ce joli logiciel, que je n'avais pas sur mon ordinateur portable à moi. Avec un air de supériorité mêlé de compassion (« le pauvre homme n'a pas mon superbe programme »), il me répondit que c'était un outil essentiel qu'il faut lancer de temps en temps pour « faire aller la machine plus vite », en « défragmentant » le disque. Il poursuivit en me répétant par coeur les arguments que l'on retrouve dans les manuels Windows : plus on utilise le disque, plus il se « fragmente », et plus le disque est fragmenté, plus la machine est lente, et c'est pourquoi il exécute consciencieusement DeFrag toutes les fois qu'il peut.
À ce moment, j'ai sorti mon ordinateur portable, qui n'utilise pas Windows mais GNU/Linux (une version libre gratuite ouverte et très performante d'Unix développée par les efforts conjoints de milliers de personnes sur Internet), et je lui ai dit, d'un air très étonné, que tout cela me surprenait énormément : sur mon portable, le disque est toujours très peu fragmenté et plus on l'utilise, moins il est fragmenté. Notre cadre, moins à l'aise, rétorqua que son portable à lui utilisait la dernière version de Windows 95, produit par la plus grande entreprise de logiciel au monde, et que je devais bien me tromper quelque part. J'entrepris alors de lui faire oublier pour un instant la propagande qui l'avait intoxiqué jusque là, en lui expliquant simplement le problème de la défragmentation : je vais essayer de vous faire un bref résumé d'une paisible conversation qui dura une bonne demi-heure.
Vous savez probablement que vos données sont rangées dans des « fichiers » mémorisés sur le disque dur de l'ordinateur. Ce disque dur est comme une gigantesque armoire à tiroirs : chaque tiroir a la même capacité (typiquement 512 octets[+]) et chaque disque contient de nos jours quelques millions de tiroirs. Si les données qui vous intéressent sont rangées dans des tiroirs contigus, on peut y accéder plus rapidement que si elles sont éparpillées (on dit alors fragmentées) un peu partout dans l'armoire. Cela n'a rien d'étonnant, et ça nous arrive tous les jours quand il faut trouver une paire de chaussettes : ça va plus vite si elles sont toutes les deux dans le même tiroir. Nous sommes donc bien d'accord que mieux vaut une armoire bien rangée qu'une armoire en pagaille. Le problème est de savoir comment faire pour garder l'armoire bien rangée quand on l'utilise. Imaginons maintenant un ministère qui garde ses dossiers dans une énorme armoire avec des millions de tiroirs : on aimerait bien, pour les mêmes raisons qu'avant, que les documents afférents à un même dossier se trouvent dans la mesure du possible rangés dans des tiroirs contigus. Vous devez embaucher une secrétaire et vous avez le choix entre deux candidates aux pratiques assez différentes:
la première, quand un dossier est bouclé se limite à vider les tiroirs, et quand un nouveau dossier arrive elle le sépare en petits groupes de documents de la taille d'un tiroir, et range chaque groupe au hasard dans le premier tiroir vide qu'elle trouve dans l'armoire. Lorsque vous lui faites remarquer que ça risque alors d'être bien difficile de retrouver vite tous les documents du dossier du Crédit Lyonnais, elle répond qu'il faut engager tous les week-ends une dizaine de garçons pour tout remettre en ordre.
La deuxième secrétaire, par contre, conserve sur son bureau une liste des tiroirs vides contigus, qu'elle met à jour toutes les fois qu'un dossier est clos et qu'on l'enlève des tiroirs; quand un nouveau dossier arrive, elle cherche dans sa liste une suite de tiroirs vides contigus de taille suffisante et c'est là qu'elle place le nouveau dossier. Ainsi, vous explique-t-elle, s'il y a assez de mouvement, l'armoire restera toujours très bien rangée.
Nul doute que c'est la deuxième secrétaire qu'il faut embaucher, et notre jeune cadre était bien d'accord. À ce moment là, il était facile de lui faire voir que Windows 95 agissait comme la première secrétaire, et avait besoin des garçons qui rangent l'armoire (le programme DeFrag), alors que GNU/Linux, agissant comme la bonne secrétaire, n'en avait nullement besoin.
À l'arrivée en gare, notre gentil monsieur n'était plus content du tout: on lui avait appris que DeFrag « fait aller plus vite la machine », alors qu'on venait de voir ensemble qu'il faut plutôt dire que c'est Windows qui la ralentit! En effet, le problème de la gestion efficace des disques est très ancien et ça fait longtemps qu'on sait bien comment le traiter (la preuve, Unix est bien plus vieux que Microsoft, et il a la bonne secrétaire depuis 1984 !)
Et il y a bien pire que DeFrag : on n'a malheureusement pas ici le temps de vous raconter toutes les petites histoires croustillantes qui le concernent, mais le logiciel ScanDisk, qui est censé « réparer » les disques, vous propose des choix incompréhensibles dont le résultat net est trop souvent la destruction pure et simple de la structure des dossiers, alors que les données étaient encore récupérables avant son passage. Non seulement ceci est impossible sous Unix, à moins d'attaquer le disque au burin, mais les techniques correctes de gestion sont enseignées dans les cours de base d'informatique en université depuis plus d'une décennie. La simple existence d'un programme comme DeFrag ou pire les méfaits de ScanDisk dans Windows 95 devraient suffire à tout decideur intelligent pour rayer Microsoft de la liste de ses fournisseurs.
Et pourtant, preuve de l'efficacité du lavage des cerveaux, et de la profondeur du sommeil dans lequel on nous a plongés, on est au contraire prêts en France à basculer le système bancaire sur des produits Microsoft et même à les choisir pour l'éducation de nos enfants. C'est que la puissance de la machine commerciale de certaines entreprises réussit à réaliser une telle distorsion de la réalité qu'on en arrive à croire dur comme fer que des défauts très graves de certains logiciels sont au contraire des atouts indispensables (d'ailleurs, dans le monde informatique ça fait longtemps qu'on emploie à ce propos le dicton « It's not a bug, it's a feature! » ( « ce n'est pas un défaut, c'est une fonctionnalité »).
C'est aussi que les spécialistes qui ont les connaissances nécessaires pour déjouer tous ces pièges et mettre en évidence les erreurs, les dangers, les manipulations, sans risque d'être pris pour des compétiteurs battus et grincheux, se sont tus trop longtemps. Il y a là un étrange phénomène: d'un côté, aucun scientifique sérieux n'a envie aujourd'hui de publier un article dans la presse soi-disant informatique de peur que sa réputation ne soit entachée pour y avoir côtoyé des marchands de tapis. De l'autre, sans l'appui de scientifiques sérieux, la presse informatique est devenue, par le biais du support publicitaire, un écho bien peu édifiant des constructeurs, donc encore plus marchande de tapis, et encore moins fréquentable par des experts sérieux.
C'est reparti pour un tour.
À+
Extrait de "Piège dans le Cyberspace" par Roberto Di Cosmo
Armoire à tiroirs et lavage de cerveaux
J'ai eu plusieurs occasions de mesurer personnellement la profondeur de ce sommeil hypnotique, mais la plus hilarante est sûrement celle qui s'est présentée pendant un voyage en TGV il y a quelque temps.
Les ordinateurs portables (ces embryons d'ordinateurs qui coûtent autant qu'une petite voiture, que l'on peut garder dans son cartable et qui servent très souvent à jouer au Solitaire) prolifèrent désormais presque autant que les téléphones mobiles, surtout dans les trains et les avions. Eh bien, pendant un de mes voyages je me suis retrouvé à côté d'un très gentil monsieur, jeune cadre dynamique, qui était en train d'exécuter sur sa machine le calamiteux (nous verrons pourquoi tout à l'heure) logiciel DeFrag. Celui-ci affiche une belle matrice remplie de petits carreaux de différentes couleurs qui bougent dans tous les sens, pendant que le disque traficote intensément.
Je n'ai pas pu résister à la tentation (ce monsieur ne m'en voudra pas trop, je l'espère, s'il se reconnaît dans cet article): après l'avoir complimenté sur son beau portable, je lui ai demandé, feignant la plus grande ignorance, ce qu'était ce joli logiciel, que je n'avais pas sur mon ordinateur portable à moi. Avec un air de supériorité mêlé de compassion (« le pauvre homme n'a pas mon superbe programme »), il me répondit que c'était un outil essentiel qu'il faut lancer de temps en temps pour « faire aller la machine plus vite », en « défragmentant » le disque. Il poursuivit en me répétant par coeur les arguments que l'on retrouve dans les manuels Windows : plus on utilise le disque, plus il se « fragmente », et plus le disque est fragmenté, plus la machine est lente, et c'est pourquoi il exécute consciencieusement DeFrag toutes les fois qu'il peut.
À ce moment, j'ai sorti mon ordinateur portable, qui n'utilise pas Windows mais GNU/Linux (une version libre gratuite ouverte et très performante d'Unix développée par les efforts conjoints de milliers de personnes sur Internet), et je lui ai dit, d'un air très étonné, que tout cela me surprenait énormément : sur mon portable, le disque est toujours très peu fragmenté et plus on l'utilise, moins il est fragmenté. Notre cadre, moins à l'aise, rétorqua que son portable à lui utilisait la dernière version de Windows 95, produit par la plus grande entreprise de logiciel au monde, et que je devais bien me tromper quelque part. J'entrepris alors de lui faire oublier pour un instant la propagande qui l'avait intoxiqué jusque là, en lui expliquant simplement le problème de la défragmentation : je vais essayer de vous faire un bref résumé d'une paisible conversation qui dura une bonne demi-heure.
Vous savez probablement que vos données sont rangées dans des « fichiers » mémorisés sur le disque dur de l'ordinateur. Ce disque dur est comme une gigantesque armoire à tiroirs : chaque tiroir a la même capacité (typiquement 512 octets[+]) et chaque disque contient de nos jours quelques millions de tiroirs. Si les données qui vous intéressent sont rangées dans des tiroirs contigus, on peut y accéder plus rapidement que si elles sont éparpillées (on dit alors fragmentées) un peu partout dans l'armoire. Cela n'a rien d'étonnant, et ça nous arrive tous les jours quand il faut trouver une paire de chaussettes : ça va plus vite si elles sont toutes les deux dans le même tiroir. Nous sommes donc bien d'accord que mieux vaut une armoire bien rangée qu'une armoire en pagaille. Le problème est de savoir comment faire pour garder l'armoire bien rangée quand on l'utilise. Imaginons maintenant un ministère qui garde ses dossiers dans une énorme armoire avec des millions de tiroirs : on aimerait bien, pour les mêmes raisons qu'avant, que les documents afférents à un même dossier se trouvent dans la mesure du possible rangés dans des tiroirs contigus. Vous devez embaucher une secrétaire et vous avez le choix entre deux candidates aux pratiques assez différentes:
la première, quand un dossier est bouclé se limite à vider les tiroirs, et quand un nouveau dossier arrive elle le sépare en petits groupes de documents de la taille d'un tiroir, et range chaque groupe au hasard dans le premier tiroir vide qu'elle trouve dans l'armoire. Lorsque vous lui faites remarquer que ça risque alors d'être bien difficile de retrouver vite tous les documents du dossier du Crédit Lyonnais, elle répond qu'il faut engager tous les week-ends une dizaine de garçons pour tout remettre en ordre.
La deuxième secrétaire, par contre, conserve sur son bureau une liste des tiroirs vides contigus, qu'elle met à jour toutes les fois qu'un dossier est clos et qu'on l'enlève des tiroirs; quand un nouveau dossier arrive, elle cherche dans sa liste une suite de tiroirs vides contigus de taille suffisante et c'est là qu'elle place le nouveau dossier. Ainsi, vous explique-t-elle, s'il y a assez de mouvement, l'armoire restera toujours très bien rangée.
Nul doute que c'est la deuxième secrétaire qu'il faut embaucher, et notre jeune cadre était bien d'accord. À ce moment là, il était facile de lui faire voir que Windows 95 agissait comme la première secrétaire, et avait besoin des garçons qui rangent l'armoire (le programme DeFrag), alors que GNU/Linux, agissant comme la bonne secrétaire, n'en avait nullement besoin.
À l'arrivée en gare, notre gentil monsieur n'était plus content du tout: on lui avait appris que DeFrag « fait aller plus vite la machine », alors qu'on venait de voir ensemble qu'il faut plutôt dire que c'est Windows qui la ralentit! En effet, le problème de la gestion efficace des disques est très ancien et ça fait longtemps qu'on sait bien comment le traiter (la preuve, Unix est bien plus vieux que Microsoft, et il a la bonne secrétaire depuis 1984 !)
Et il y a bien pire que DeFrag : on n'a malheureusement pas ici le temps de vous raconter toutes les petites histoires croustillantes qui le concernent, mais le logiciel ScanDisk, qui est censé « réparer » les disques, vous propose des choix incompréhensibles dont le résultat net est trop souvent la destruction pure et simple de la structure des dossiers, alors que les données étaient encore récupérables avant son passage. Non seulement ceci est impossible sous Unix, à moins d'attaquer le disque au burin, mais les techniques correctes de gestion sont enseignées dans les cours de base d'informatique en université depuis plus d'une décennie. La simple existence d'un programme comme DeFrag ou pire les méfaits de ScanDisk dans Windows 95 devraient suffire à tout decideur intelligent pour rayer Microsoft de la liste de ses fournisseurs.
Et pourtant, preuve de l'efficacité du lavage des cerveaux, et de la profondeur du sommeil dans lequel on nous a plongés, on est au contraire prêts en France à basculer le système bancaire sur des produits Microsoft et même à les choisir pour l'éducation de nos enfants. C'est que la puissance de la machine commerciale de certaines entreprises réussit à réaliser une telle distorsion de la réalité qu'on en arrive à croire dur comme fer que des défauts très graves de certains logiciels sont au contraire des atouts indispensables (d'ailleurs, dans le monde informatique ça fait longtemps qu'on emploie à ce propos le dicton « It's not a bug, it's a feature! » ( « ce n'est pas un défaut, c'est une fonctionnalité »).
C'est aussi que les spécialistes qui ont les connaissances nécessaires pour déjouer tous ces pièges et mettre en évidence les erreurs, les dangers, les manipulations, sans risque d'être pris pour des compétiteurs battus et grincheux, se sont tus trop longtemps. Il y a là un étrange phénomène: d'un côté, aucun scientifique sérieux n'a envie aujourd'hui de publier un article dans la presse soi-disant informatique de peur que sa réputation ne soit entachée pour y avoir côtoyé des marchands de tapis. De l'autre, sans l'appui de scientifiques sérieux, la presse informatique est devenue, par le biais du support publicitaire, un écho bien peu édifiant des constructeurs, donc encore plus marchande de tapis, et encore moins fréquentable par des experts sérieux.
C'est reparti pour un tour.
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