Le développement des blogs sur Internet est devenu un sujet de réflexion et de discussion banal et courant. Le Parlement européen a même organisé en septembre dernier un forum sur les relations et la coexistence des "bloggeurs" et des journalistes. En marge de ce forum, mais toujours devant le Parlement européen, une députée a réclamé, l'instauration d'un droit de réponse sur les médias électroniques.
Un droit qui existe en France, y compris pour les bloggeurs
Ce droit existe en France : il a été explicitement prévu par la loi du 21 juin 2005, dite loi pour la confiance dans l'économie numérique, qui à son article 6 IV stipule que "toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne dispose d'un droit de réponse, sans préjudice des demandes de correction et de suppression du message qu'elle peut adresser au service".
Même si nous attendons toujours le décret en Conseil d'Etat devant fixer les modalités d'application de l'article 6 IV, phénomène bien connu dans notre pays, il n'est pas discuté que cette faculté existe aujourd'hui par décalque des dispositions prévues par l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881, applicable à la presse papier.
Il peut être invoqué non seulement dans les litiges franco-français, mais également dans les relations internationales dès que le droit français sera jugé applicable.
D'ailleurs la loi du 21 juin 2005 n'a pas innové, mais a stabilisé une jurisprudence déjà existante, ayant tantôt fait application de l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881, tantôt de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 visant le droit de réponse à la radio et à la télévision, tantôt encore de la réglementation particulière aux procédures de référé permettant de faire cesser un trouble manifestement illicite ou prévenir un dommage imminent.
La loi du 21 juin 2004 ne s'est pas limitée à instaurer un droit de réponse sur les médias électroniques, elle a prévu une série de règles sur la responsabilité pénale et civile de tous ceux qui concourent à l'élaboration et la diffusion d'un contenu illicite sur Internet.
Même si on peut déplorer une certaine complexité du texte, et même dans certains cas une obscurité qui pourrait déboucher sur des résultats incohérents, il a peu ou prou adapté aux médias électroniques des règles déjà applicables à la presse papier et au secteur de la communication audiovisuelle.
Même avant l'entrée en vigueur de cette nouvelle loi et grâce à la jurisprudence, qui après quelques tâtonnements notamment sur la prescription des délits d'injure et de diffamation, était parvenue à l'élaboration de solutions cohérentes, la victime d'atteintes au droit à l'image, au respect de la vie privée, à la présomption d'innocence ou à l'honneur et à la considération disposait de recours effectifs.
Le droit applicable existe, il est connu, pour certaines de ses dispositions, il est ancien et éprouvé, y compris pour les bloggeurs qui prétendraient s'en affranchir.
Quand les journalistes créent leur propre blog ou que les journaux offrent à leurs lecteurs d'être leur "propre éditeur en ligne", pas de méprise : les responsabilités et les responsables sont les mêmes, la liberté d'expression n'est ni plus ni moins grande que dans les colonnes du journal.
Le droit de l'open publishing
L'open publishing va-t-il remettre en cause cette construction et ces certitudes ? Ce phénomène ne date pas d'hier même s'il a pris très récemment un nouvel essor.
Il est difficile de le définir en quelques mots et sans doute, dans ce cas, serions-nous accusés par ses défenseurs d'en réduire abusivement la portée et l'impact. Disons simplement brièvement qu'il s'agit d'un média "libre et ouvert", enrichi par les contributions de multiples internautes partout dans le monde, livrant et confrontant leurs analyses et opinions sur les sujets les plus divers, avec la volonté de s'affranchir de toutes contraintes juridiques et économiques.
Récemment, un chercheur s'est publiquement félicité de l'enrichissement apporté à l'un de ses articles par différents contributeurs sur le site de Wikipédia, encyclopédie "mutualisée" permettant à quiconque d'envoyer des contenus et de modifier ou de compléter les contenus envoyés par d'autres. Le procédé et le parti pris de libération des différents carcans qui à un titre ou à un autre limitent l'expression publique est séduisante.
Néanmoins, que faire en cas d'abus, il y en a nécessairement, quels recours la victime peut-elle exercer, et surtout vers qui se retourner ?
Les réseaux mis en place à travers le monde par les "open publishers" entraînent de réelles et importantes difficultés d'identification des personnes physiques ou morales à l'origine de la diffusion des contenus contestés. Non seulement toute responsabilité du fait de ces contenus est clairement rejetée et refusée par "l'organisation", mais encore celle-ci repose sur des relais dont la localisation est délicate et qui parfois ne disposent pas de réelle structure.
L'un des sites Internet les plus connus de l'open publishing affirme lui-même être dépourvu de bureau central, d'adresse, de numéro de téléphone ou de fax, de tout collectif éditorial ou d'équipe rédactionnelle. Un autre, place clairement l'internaute contributeur devant ses responsabilités individuelles et souligne que chaque page utilisateur est un espace personnel, voulant souligner par là qu'il n'entend pas répondre et qu'il ne répondra pas des conséquences dommageables des contenus diffusés.
Le seul problème est que la dénégation ne suffit jamais à écarter la responsabilité. Toutes les règles juridiques protégeant, mais limitant aussi la liberté d'expression, sont au contraire tournées vers la désignation obligatoire d'un ou plusieurs responsables qui ne peuvent échapper à leur mise en cause en démontrant leur absence de faute.
La grande loi française de 1881 a précisément voulu éviter l'échec des poursuites pour cause d'anonymat de l'auteur, en instaurant un système de responsabilité dit "en cascade" destiné à permettre dans tous les cas, et par défauts successifs, l'introduction d'une procédure à l'encontre d'une personne qui devra répondre des abus constatés.
La loi du 21 juin 2004 ne s'écarte pas de cette ligne lorsqu'elle permet de se retourner contre les fournisseurs d'accès et d'hébergement et prévoit leur responsabilité dans l'hypothèse où ils n'auraient pas, bien que dûment informés, agi promptement pour retirer les informations illicites ou en rendre l'accès impossible.
On le voit donc une fois de plus, l'outil juridique existe, mais on se heurte dans ce domaine plus que dans aucun autre aux effets secondaires de la mondialisation des échanges et de la sanctuarisation de certains territoires du globe.