☞ Dédié à
bompi sans utilité technique regardant la perte d'une '
Librairie'...
"librairie" dans ce sens, c'est du temps de ce brave Montaigne
C'est un point de
philologie curieux, que ce remplacement dans l'usage de '
Librairie' par '
Bibliothèque' pour désigner les lieux de collection de livres tant publics que privés, le mot '
Librairie' se trouvant destitué de ce sens pour désigner exclusivement les boutiques où l'on fait commerce de livres.
En m'écartant de toute approche 'scientifique' du problème pour me laisser aller à une 'rêverie' à son sujet - il me plaît d'
imaginer cette substitution de la moderne '
Bibliothèque' à l'ancienne '
Librairie' un reflet des murs et des usages. En effet, le mot '
Bibliothèque', qui dérive du Grec ancien, signifie littéralement : 'boîte à livres', tournant l'attention vers l'entreposement de ces petits parallélépidèdes de papier, de carton et de cuir que sont les livres en tant qu'
objets sur des rayonnages superposés tapissant les murs d'une ou de plusieurs pièces ; tandis que le mot '
Librairie', dérivé du Latin '
libraria', signifie non pas tant directement un lieu de 'recel' (comme '
Bibliothèque'), qu'un lieu de '
commerce', au sens de relations d'échanges entre des sujets. Certes, l'acception moderne réduit ce 'commerce' au négoce de livres en tant que marchandises entre un acheteur potentiel et un vendeur, mais il conserve une part de la beauté de l'ancien mot qui ne voit pas directement dans le livre un 'objet', autant dire une 'chose', enfermant la pensée vivante d'un auteur dans la clôture opaque et muette d'un 'pavé de papier' ; mais la concentration d'un 'discours' avec lequel 'commercer' dans l'acte de la lecture, c'est-à-dire un sens en suspens tout prêt à s'ouvrir dans une 'prise de connaissance'.
Bref, du
chosisme de '
Bibliothèque' se distingue l'
échangisme de '
Librairie', comme à quelque sépulcre d'un dire étranger s'oppose l'acte vivant de converser avec des amis. J'ai toujours haï les '
Bibliothèques', d'y avoir ressenti en y pénétrant ce frisson glacial que suscitent les morgues et les ossuaires, avec toutes ces silhouettes figées à des tables comme d'archéologues n'ayant plus accès qu'au corps défunt de ce dont une humanité 'commerçait' de façon significative. J'ai toujours aimé les '
Librairies', quand bien même des négoces, pour cette animation candide que j'y ressens de concentrés d'une autre vie 'disponibles_au_lire'. J'y ai l'impression d'être entouré d'amis prêts à engager la conversation, alors que dans une '
Bibliothèque' je me sens d'emblée confronté à la dépouille d'un exosquelette, sans qu'aucun effort de ma part n'y puisse ressusciter l'étincelle d'une vie.
Il y a un
paradoxe des bibliothèques, qui n'est pas tant celui, logique, de savoir si le catalogue de tous les livres archivés doit ou non s'inclure lui-même parmi ces livres ; mais celui, topique, qui fait dépendre le
conservatoire des livres de leur soustraction même à la
lecture qui en dégrade le corps. Il me revient, en contraste, cette déclaration de
Montaigne : «
Il faut avoir femmes, enfants, biens, et surtout de la santé, qui peut ; mais non pas s'y attacher en manière que notre heur en dépende. Il se faut réserver une arrière-boutique toute nôtre, toute franche, en laquelle nous établissons notre vraie liberté et principale retraite et solitude». Arrière-boutique de solitude qui bien entendu s'entend au plan de l'esprit, mais qui remarquablement chez
Montaigne avait ses 'aîtres' : cette '
Librairie' à l'étage d'une tour circulaire des alentours de Bordeaux, dont lui seul se réservait l'accès, où il aimait marcher en cercles tout en feuilletant des livres qui lui tenaient lieu d'interlocuteurs dans ce commerce de pensée où pouvoir être, selon ses propres termes, une «
foule pour soi-même».
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Il n'est pas anodin de se rappeler que dans le «Nom de la Rose» d'Umberto Eco, le cur de la 'Bibliothèque' de l'abbaye où se situe l'intrigue est une pièce absolument soustraite à l'usage, à la manière de l'Enfer des 'Bibliothèques' modernes (sauf que seul le 'Bibliothécaire' de ladite abbaye en connaissait l'existence) : ce «Finis Africae» censé receler le livre perdu de la «Poétique» d'Aristote consacré à la 'Comédie', parce que, faisant l'éloge du 'Rire', ce livre du 'Philosophe' de référence de la Scolastique eût tourné en dérision en mode païen, si accessible à la 'Lecture', le 'Sérieux' de la création divine. Où s'avère que la susdite 'Bibliothèque' n'était qu'une 'Librairie' perdue...>