Hadopi : ce que les Sages pourraient censurer
La loi Création et Internet est en cours d'examen par le Conseil constitutionnel, qui pourrait retoquer mercredi plusieurs articles clé du texte. Revue de détail des points qui causent problème.
Hadopi, ce n'est pas fini : si, après plusieurs péripéties, la loi a finalement été votée par les députés le 12 mai dernier, elle est aussitôt repartie rue Montpensier, au siège du Conseil constitutionnel, pour être examinée par les Sages, qui doivent se prononcer sur sa concordance avec les principes constitutionnels.
Le verdict pourrait tomber dès mercredi soir. Et beaucoup de juristes s'attendent à ce que les 11 Sages (neuf permanents et les deux anciens chefs d'Etat Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing) retoquent plusieurs articles clés du texte «Création et internet». Voici quelques-uns des points qui posent question :
Présomption de culpabilité :
Premier point, non des moindres : La loi Hadopi instaure, selon ses détracteurs, une «présomption de culpabilité». En France, le système judiciaire impose à l'accusation d'apporter la preuve qu'un suspect a commis un délit. Or, la loi Création et Internet permet de sanctionner un internaute à partir du moment où la Haute autorité est saisie par les ayants droits de «faits susceptibles de constituer un manquement à l'obligation». En clair : un simple soupçon (l'enregistrement de votre adresse IP, qui peut être piratée ou usurpée) suffit à entraîner l'envoi d'une lettre d'avertissement. C'est ensuite à vous de prouver que vous n'êtes pas en cause. Ce «renversement de la charge de la preuve» est potentiellement inconstitutionnel.
Droit pénal ou administratif ?
Autre point qui fait débat : la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) est une instance composée de juges de l'ordre administratif. Or, comme l'a rappelé le parlement européen à la France à plusieurs reprises, la jurisprudence de l'Union implique que la privation d'un droit fondamental (ce que constitue la coupure de l'accès Internet aux yeux des eurodéputés) ne doit être prononcée que par un juge de l'ordre judiciaire. Ce qui permet au justiciable de disposer de possibilités plus grandes de contester le jugement.
Internet, droit fondamental ?
Le débat porte donc aussi, second point essentiel, sur le fait de savoir si l'accès à Internet est un droit fondamental, comme le sont par exemple l'eau ou l'électricité, dont la privation est strictement encadrée. L'Europe et le Parlement européen ont répondu à plusieurs reprises que c'était le cas. La France, par la voix de Christine Albanel, soutient le contraire.
Enrichissement sans cause ?
Un autre élément, longuement débattu à l'Assemblée, pose problème : le fait qu'en cas de coupure de la connexion internet par l'autorité administrative, l'internaute fautif doive continuer à payer son abonnement auprès de son fournisseur d'accès. Ce choix, déterminé par les députés, pourrait s'assimiler à ce qu'on nomme en droit «l'enrichissement sans cause» : l'internaute s'appauvrit à l'avantage du fournisseur d'accès, sans que ce dernier ne fournisse de service. La jurisprudence estime que dans ce cas, la personne appauvrie doit être remboursée.
Double peine.
Pierre d'achoppement potentielle également : la fameuse «double peine» brandie par les anti-Hadopi : outre une coupure d'Internet en cas de téléchargement illégal, l'internaute risque également une plainte des ayants droits de l'œuvre qu'il a acquise ou qu'il est soupçonné d'avoir acquis sans autorisation. Un point qui va à l'encontre de la jurisprudence du conseil constitutionnel, selon lequel une «sanction administrative de nature pécuniaire» (continuer de payer son abonnement) ne peut se cumuler avec une sanction pénale» (une possible plainte pour contrefaçon).
Inégalité devant la loi.
Enfin, vient la question du «logiciel mouchard» que les députés ont instauré, et qui permettra d'éviter toute sanction si on l'a installé sur son ordinateur. Ce logiciel aux fonctions encore floues doit à la fois filtrer l'accès à des sites de «peer-to-peer» illégaux et permettre à un internaute fautif de réduire sa peine s'il l'installe. Or, la loi ne prévoit pas d'interopérabilité pour ce programme informatique, qui ne sera pas forcément disponible sur tous les systèmes d'exploitation, ce qui constitue une atteinte au principe d'égalité devant la loi.
Mais aussi... Le blog Stan et Dam s'est procuré un article de «doctrine des Petites Affiches», une revue d'opinions de juristes (la doctrine), qui pointe d'autres aspects problématiques. Notamment l'inégalité de traitement entre personnes physiques (l'internaute lambda) et morales (entreprises, collectivités), qui ne risquent pas de privation de connexion, mais une simple injonction. Ceci pour éviter qu'une entreprise se retrouve sans Internet si un de ses employés télécharge illégalement, ce qui paraît logique, mais constitue potentiellement une discrimination.
Des juristes ont réalisé des études complètes de constitutionnalité de la loi Hadopi. C'est notamment le cas d'Estelle de Marco, docteur en droit, dont l'analyse complète est disponible en PDF.