En regardant cette photo de SirDeck postée en mars dernier :
.
j'ai de nouveau huit ans, guignant par un trou de serrure un pan secret de la vie des autres. Parce qu'au moment de prendre cette photo, l'œil de SirDeck dans le cadrage en portrait de son appareil avait huit ans. Il me redonne les huit ans de son regard, et je lui donne mes mots.
Nous épions par dessus un portillon de bois blanc à claire-voie occultée, un paysage fermé par un horizon superposant dans un même plan vertical un mur de façade gris beige et un mur de ciel nuageux gris bleu. Horizon aussi plan qu'un décor de théâtre peint sur une toile. Horizon bouché d'absence d'illusion perspective.
Entre le claustra du portillon et la clôture verticale de cet horizon, s'incruste une profondeur confinée dans sa profondeur entre ces deux limites. Une profondeur étriquée, une profondeur dissimulée, une profondeur secrète. De ces profondeurs désespérées, coincées entre les murs d'enceinte d'un enfermement.
Dans des tons bruns qui font contraste avec la blancheur grisâtre des frontières, en contre-bas d'une sorte de rempart vétuste, part en diagonale le corridor écourté d'une vie secrète minuscule. Un corridor fleuri de couleurs passées : bleu, rouge, et marron.
Un soin du détail méticuleux affecte ce corridor aperçu d'en haut, commme ces cours ouvertes à la déambulation de prisonniers où plonge d'une tour le regard d'un gardien. Peinture bleu marine de la porte d'acccès, tuiles romaines protectrices de son linteau, bois de stère de chauffage bien empilé, cheneaux métalliques de protection contre la pluie, échelle couchée à l'horizontale sur les cheneaux, baches, vase en grès, poubelle réceptrice d'eau de pluie sous un tuyau d'écoulement, tapis anti-boue sur le sol du passage, végétation rudérale improvisant un Eden sauvage.
Passage d'une profondeur secrète dérobée, rendu quasi fantastique par la présence d'anomalies. Où peut donc ouvrir cette porte bleu marine, dans ce qui se figure un mur de clôture, si le mur gris surplombant de l'habitation du fond n'est pas plus espacé de l'encadrement de cette porte qu'un court jambage que l'on entrevoit sous les cheminées ? Encore un corridor derrière le corridor... Et le mur d'adossement du bois de stère du passage, se trouve manifestement séparé du rempart vertical de l'immeuble de droite encore par un espace où se creuse un passage dissimulé. Sur lequel donnent deux ouvertures encadrées de bleu et de rouge, uniquement percées dans un contrefort sans épaisseur soudant le mur de clôture du fond du passage à la verticale du rempart. Un fil électrique enjambant le haut du contrefort, pour redescendre s'enfoncer dans le plein du mur du rempart.
Une complexité de l'insolite déroute l'imagination, dans le confinement sévère de la restriction de perspective. Qui donc franchit régulièrement cette porte bleue sans arrière, pour s'avancer dans cette ruelle fantastique sans issue ? Qui donc hante ce tableau fait de lignes diagonales descendantes de droite à gauche, avec une diagonale inverse remontante incrustant la profondeur étriquée d'un passage ? Qui donc s'avance dans l'impasse minuscule de ce passage, pour y retrouver, jour après jour, le secret poignant de l'impartageable ? Car ce paysage est un portrait, le portrait d'une figure absente, que SirDeck nous présente dans cette photo d'un paysage en portrait.
J'aurais voulu dire ce qui m'accrochait tellement à cette photo de SirDeck, que j'ai tant de fois remis à plus tard de dire, et que je viens d'échouer à dire, je m'en rends compte.