J'peux pas, tu viens de me l'apprendre
De toutes façons associer les deux en 1932 peut se comprendre, mais pas prendre l'un pour l'autre aujourd'hui
Je suis totalement d'accord. Mais qui a fait cet amalgame sur ce fil ? Est-ce dans ce sens que tu as compris mes propos ? Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. J'ai juste répondu à l'affirmation fausse selon laquelle il n'y avait "strictement aucun rapport entre l'extrême droite et le sionisme", en rappelant notamment ceci dans
ce post : "Le fait est que les classifications partisanes de la vie politique (le centre, la gauche, la droite, les extrêmes) étaient totalement banalisées au sein du mouvement sioniste avant même la 2e GM".
Historiquement, l'extrême droite sioniste est issue des héritiers les plus radicaux du Parti révisionniste de Jabotinsky, créé en 1925 pour se distinguer de la gauche sioniste majoritaire ("Parti révisionniste" est son nom : ce n'est pas un qualificatif donné par ses adversaires) : leur programme associe sionisme, mystique nationaliste, anticommunisme, militarisme, défense d'une politique de conquêtes territoriales visant la constitution, au prix de l'expulsion manu militari des Arabes, d'un Grand Israël incluant la Jordanie, légitimation de la violence comme mode d'action politique (et usage effectif de cette violence via des assassinats ou des attentats à la bombe, y compris contre d'autres juifs si nécessaire...). L'influence du fascisme italien sur le groupe Lehi (la droite du Parti révisionniste) est avérée, ce qui n'a rien de surprenant dans le contexte des années d'entre-deux guerres.
On ne doit pas sous-estimer l'influence de cette frange ultra-minoritaire au sein du mouvement sioniste : le massacre de Deir Yassin, qui a eu un impact décisif sur l'exode de panique des populations palestiniennes, c'est-à-dire sur une épuration ethnique de fait, a été commis par des hommes de l'Irgoun et du Lehi, c'est-à-dire des héritiers de la branche droite du parti révisionniste (le débat historiographique sur l'intentionnalité de l'épuration ethnique reste ouvert, même parmi les critiques de la vulgate nationaliste qui présente le départ des Palestiniens comme volontaire, puisqu'Ilan Pappé pense qu'elle relevait d'une politique concertée, alors que Benny Morris estime qu'elle est la conséquence d'un ensemble d'actions non planifiées ; pour le point de vue palestinien sur la Nakba, se référer entre autres aux travaux de Walid Khalidi).
L'usage de la violence comme instrument d'action légitime est caractéristique de cette droite sioniste. Il ne s'agit pas exclusivement d'un fait de guerre, lié aux conditions particulières de la création d'Israël entre 1946 et 1948 ainsi que le montrent des épisodes comme la campagne ultra-violente d'opposition du Herout (successeur du parti révisionniste) et du Lehi aux accords d'indemnisation conclus avec l'Allemagne à partir de 1952, ou encore l'assassinat d'Israël Kastner par des membres du Lehi en 1957.
Mais la violence, qui se manifeste aujourd'hui au quotidien par des exactions anti-arabes et des menaces dirigées contre les militants de gauche favorables au dialogue israélo-palestinien, exprime la montée en force d'un sionisme religieux radical, alors que le sionisme de Jabotinski, comme celui de Ben Gourion, se voulaient laïcs. Un de ces précurseurs a été le fameux Meir Kahane, assassiné en 1990. L'assassinat dYitzhak Rabin par Ygal Amir en 1995, comme le massacre commis par Baruch Goldstein à Hebron l'année précédente (29 musulmans tués, plus d'une centaine blessés), illustrent la montée en force de ce sionisme messianique et violent. Le rabbin de Kiryat Arba, qui avait formé spirituellement Goldstein, a déclaré dans l'homélie funébre de ce dernier qu'il était "plus saint que tous les martyrs de la Shoah"...
C'est dans ce mélange d'intolérance politique extrême et de messianisme religieux qu'ont baigné apparemment les jeunes activistes qui ont enlevé et brûlé vif Mohammed Abou Khdeir le 2 juillet dernier. Il suffit de noter ce qu'en a dit la presse israélienne modérée pour comprendre que la notion de "sionisme d'extrême-droite" n'est pas considérée comme un abus de langage. Elle signifie évidemment, comme je l'avais noté, qu'il existe des sionistes d'autres sensibilités, de la droite modérée à l'extrême gauche.
Voici ce qu'en disait en 2008 Zeev Sternhell, qui se revendique de la gauche sioniste, c'est-à-dire à ses yeux du seul sionisme viable, peu après avoir été victime d'un attentat à la bombe fomenté par la droite ultranationaliste (on a retrouvé également devant son domicile des tracts promettant une récompense d'un million de shekels à quiconque tuerait un militant du mouvement La Paix maintenant) : "Les politiques doivent déclarer la guerre à l’extrême-droite et à l’occupation (où ces moustiques se nourrissent). Autrement, ils ne mériteront pas une note en bas de page de l’Histoire" (
http://www.lapaixmaintenant.org/Sternhell-Les-partisans-de-l).
Bref, le sionisme n'est pas une idéologie de droite ou de gauche, mais il existe bien un courant d'extrême-droite au sein du sionisme, dont le parti révisionniste de Jabotinsky a été la première manifestation politique dans les années vingt. Il se manifeste par des formes particulièrement violentes d'activisme politique dans la société israélienne aujourd'hui, comme dans certains milieux de la diaspora. Ce qu'illustre l'excité qui s'en est pris à Rue89. Mais il ne l'aurait pas fait avec autant d'audace si ses semblables n'avaient pris l'habitude d'une relative impunité pour les manifestations les moins spectaculaires de leur fanatisme. Le problème est que lorsqu'ils se réclament de l'idéal sioniste, ils revendiquent quelque chose qui est le bien commun de l'immense majorité des Israéliens et de beaucoup de Juifs dans le monde (pas tous cependant). Il est impossible à un Israélien modéré, ouvert au dialogue, d'être totalement en accord avec eux ; mais il lui est aussi très difficile d'être totalement en désaccord. C'était déjà le cas, dans les années trente, des relations entre le sionisme révisionniste et le courant majoritaire.