Une question semble être éludée, et pourtant un certain nombre d'artistes et de gens dans les secteurs culturels l'ont évoquée, c'est la question du partage non commercial de la culture.
J'aime un livre ou un disque, je veux le faire découvrir, je le prête à un ami.
Cet acte anodin se trouve maintenant bouleversé à cause de nouveautés technologiques et de nouveaux modes de diffusions.
Pour autant, faut-il le condamner ? Faut-il décréter que l'on ne peut plus rien partager sans qu'il y ait une notion d'argent ?
Il faut trouver de nouveaux modes de rémunération (et je travaille dans un secteur de création, donc je suis concerné) mais la gratuité coupable de tout, c'est juste absurde.
Des échanges gratuits ont toujours eu lieu entre les hommes, heureusement !
La nouvelle religion a pour dieu ARGENT.
Au nom ce de dogme, tout est bon pour " en faire ".
L'un de ces "tout est bon" est l'extension à la monétisation de tout acte, au droit à la rémunération de tout et n'importe quoi, et à la négation de droits existants.
La confusion quasi institutionnelle entre art, culture et industrie, la course au fric, l'incompétence des politiques face aux évolutions techniques avec pour corollaire l'incompétence face aux conséquences sociales qu'elles suscitent, entraînent une forme de chaos grâce auquel tous ceux qui savent en mesurer l'intérêt y trouveront avantage, fusse-t-il au détriment et au mépris des autres.
Le droit à la rémunération des artistes est évident. Encore faut-il définir dans quelles conditions, car, de notre temps, c'est très différent du temps de Louis XiV.
Le droit à la copie n'est pas discutable. Il a été institué pour la propagation de la culture. La question posée est : ce droit a-t-il encore un sens compte tenu des moyens actuels de propagation (basés sur l'informatique et non plus sur le papier, la mécanique, l'électronique et l'électromagnétisme).
Le problème qui s'est imposé dans le temps, et qui touche principalement la musique, est que l'immatérialité même de l'uvre musicale, l'assemblage de sons, ne peut se matérialiser qu'au moyen d'un support (on peut aussi dire média aujourd'hui). L'uvre musicale en elle-même est fugitive, contrairement à l'uvre picturale (une peinture est unique), ou à l'uvre littéraire (un livre est unique). Autre art, la danse, a les mêmes caractéristiques que la musique. La matérialité de cet art basé sur le mouvement, est le spectacle, tout comme le concert l'est pour la musique. Il en est de même du théâtre, uvre littéraire donnée en spectacle. Il en est de même de la photographie, variante "technologique" de la peinture, et du cinéma, variante "technologique" du théâtre.
Aujourd'hui, tout est "enregistrable" grâce à l'évolution des connaissances scientifiques, grâce aux connaissances techniques qui en découlent, et diffusable grâce à une multitude de supports.
L'industrialisation de la culture impose un nouveau modèle : la multitude des moyens de diffusion ouvre l'accès à la culture au moindre prix, donc à tous. C'est le credo que tente d'imposer les "diffuseurs d'avant" aux supports "d'avant". Car on sait que le prix n'est pas moindre, qu'il est "dosé" pour les nourrir plutôt que de nourrir les artistes. Aujourd'hui, le modèle de diffusion musicale imaginé par Apple ( et d'autres) a creusé son trou, et les acteurs qui y participent n'ont encore pas compris grand-chose à ce qu'il se passe. De même pour la diffusion d'images, les sociétés de production ont trouvé une source complémentaire de profits des salles de cinéma (cassette vidéo, vidéo disque, DVD, Blue-Ray), au prix, grosso modo, de deux places de cinéma, et sans droit de copie privée. Seuls, semble-t-il, les acteurs de la diffusion de l'écrit donne l'impression d'avoir compris qu'ils sont à la veille d'un nouveau mode de diffusion qui sera sans doute aussi révolutionnaire que celui que Gutenberg a imaginé.
Je ne sais pas si le droit à la copie privée est en péril, mais déjà, l'industrie cinématographique s'est arrogé le droit de la supprimer.
L'industrie musicale a bien essayé avec les DRM, mais ça n'a pas bien marché.
L'industrie de l'écrit n'a-t-elle pas, à son tour, trouvé une solution pour le supprimer.
À partir du moment où les uvres (au sens le plus large du terme) sont dématérialisées il devient facile d'en organiser le commerce. On paye, et on télécharge (légalement). S'il n'y a pas de moyen d'empêcher la copie, fût-elle privée ou non, il est tout aussi facile d'organiser la gratuité des échanges, légaux et illégaux. S'il y a moyen d'empêcher la copie privée, il y a alors une restriction définitive de ce droit, et tout échange devient onéreux. On peut imaginer, alors, d'autoriser tous échanges à condition que, au passage, un droit de rémunération soit payé qui délivre une clé exclusive d'utilisation.
Sauf à croire en un accord mondial équitable (ce mot a-t-il encore un sens aujourd'hui ?) sur cette société de l'immatériel en cours de construction, je doute fort que la religion de l'argent ait la moindre compassion, et de pitié moins encore, pour ceux qui ne sont que les acheteurs en bout de chaîne. Tout sera fait pour que le plus grand nombre tombe dans l'invisible piège tendu. Nous en bref.