Virevoltant entre dark folk et folk apocalyptique (apofolk pour les intimes), cet opus est un voyage dans le temps aussi bien que dans le cœur. L’introduction à la guitare sèche fait figure de signal du départ pour une heure d’émotion pure, sans ajout ni conservateur. Car la musique (encore que ce mot soit restrictif lorsqu’il s’agit d’aborder la description d’une telle débauche de sensations, de visions, d’impressions fugitives et pourtant si profondes) de C93 ne passe pas par les oreilles, qui s’attachent aux mélodies ou aux rythmiques; ni même par l’encéphale, dont les neurones analysent la complexité des compositions et la technique des musiciens. Non, rien de tout cela. Cette musique s’adresse directement à l’âme, sans passer par ces intermédiaires intellectualisants.
En effet, il n’y a aucune complexité dans l’instrumentation et la structure d’une chanson de C93 : une guitare acoustique, rejointe de-ci de-là par une flûte, une harpe ou un violoncelle vagabonds, en pave l’intégralité avec un seul et même motif, mélancolique jusqu’aux larmes… Emergeant de ces accords tantôt élégiaques tantôt veloutés, le timbre hybride de David Tibet interprète ses textes énigmatiques, et son chant à demi parlé se charge alors d’une telle intensité que l’on se demande qui du génie ou de la folie dirige les lèvres inspirées du personnage.
De la dark folk précédemment décrite et illustrée à merveille par « The Sadness Song » ou encore « Mary waits in Silence », se détachent deux titres résolument apocalyptiques, sur le fond et la forme. « All the Stars are Dead Now », cristallisation parfaite de l’effroi, est le manifeste du talent incomparable d’interprétation de Tibet, dont la voix d’abord calme atteint en neuf minutes des sommets de démence alors qu’il annonce la chute des grandes cités humaines et de ceux qui les peuplent. Derrière son chant prophétique ne se cachent qu’un seul riff, une flûte intérimaire et des distorsions vocales touchant à l’incantation, mais chaque mot transperce l’âme avec le tranchant d’une lame, et les menaçant « Dead », récurrents dans l’œuvre de C93, se muent en autant de coups de grâce. Ses accords orientaux s’emparent de nos sens afin de les abandonner, errant, dans les hautes sphères caractéristiques de l’hypnose. Là encore, c’est le timbre de Tibet qui nous donne l’illusion d’être en vie, et la certitude de l’agonie.
Je pourrais vous parler de cet album en termes dithyrambiques pendant encore des heures sans en déflorer le fond, car s’il y a quelque chose de fondamental à en dire, c’est qu’il représente avant tout une expérience intime et bouleversante. Vous l’ignorez, et pourtant dans votre souvenir se trouve une place où C93 existe dans avoir besoin d’être connu ni écouté. C’est à cela que l’on reconnaît la perfection: à sa faculté de préexister dans les âmes sous forme d’un Idéal.
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