Cette photo de
SirDeck aux «
Cimaises» :
me fait immédiatement penser à l'anecdote de cet écrivain taoïste qui, s'éveillant d'un rêve où il volait tel un papilon, se demande s'il est
Tchouang Tseu qui a rêvé être un papillon ou s'il est un papillon en train de rêver qu'il est
Tchouang Tseu.
Parce que cette figure de fleur séchée lève dans mon esprit une forme de papillon.
Une fleur séchée sur la page blanche d'un herbier perd ce volume un peu gras du corps des fleurs. Elle tend à se transformer en une figure plane et le mouvement du dessèchement sépare les pétales en les recoquevillant pour leur donner figure d'ailes.
«
En ma fin est mon commencement» écrit
T.S Eliot dans «
East Coker», le 2è de ses «
Quatre Quatuors». Car ces pétales qui se frippent sur la page de l'herbier sont comme des ailes de papillon, recroquevillées sur elles-mêmes à la naissance, qui sous l'effet de pression des fluides dans leurs nervures tendent à se déployer en s'aplanissant en ailes.
Fleur ou papillon? Fleur de papillon. Papillon en fleur.
Il me revient qu'un poète Japonais de
haïku contemple les pétales tombés au sol de fleurs de cerisier. Qui dans le vent printanier s'envolent du sol et remontent aux branches de l'arbre. Dans une envolée de papillons. La force du poète est de ne pas décider si ce sont des papillons qui s'envolent plutôt que des fleurs tombées.
Je me risque à improviser un
haïku en Français :
cette fleur séchée
le souffle du vent sur la page
vol de papillon
L'à-peine ombrage projeté par la fleur-papillon sur le blanc de la page suggère un
départ de la forme par rapport au fond qui n'a rien à voir avec ces
reliefs de corps solides contre lesquels s'écrase la perception. Mais quelque chose de l'ordre d'une
suspension de la figure aussi légère que celle d'une envolée.
Une forme dans son
départ simple de la blancheur du fond, dans l'envolée de sa figure, ne se saisit qu'en
imagination. Cette faculté des
images selon
Bachelard, qui métamorphose les figures solides de la perception.
Dès que mon imagination saisit une forme
en image, je ne l'appréhende plus en 'corps plein', en 'chose'. Je l'appréhende
en idée, sans qu'aucun 'concept' ne s'y mêle.
Je dis : la rose
Et voici que se lève
L'absente de tous les bouquets
écrit
Stéphane Mallarmé. Cette
absente de tous les bouquets est l'absente de la perception en corps. C'est l'
idée de la rose qui se lève pour l'imagination, qui n'instaure pas un contraste violent de l'objet physique existant avec un arrière-plan de néant ; mais qui lève le
départ simple de la forme, dans son envolée légère de la blancheur du fond. La forme-image : elle fleurit comme une rose dans ce
départ léger du fond et son envol de fleur la transforme en papillon du rêve.
L'image de
SirDeck ne diffère pas d'un poème. «
Dans la poésie, les mots font l'amour» écrit
Victor Hugo. Parce qu'ils ne désignent pas des choses. Et ne parlent pas à la perception. Ils imagent pour l'imagination. C'est-à-dire lèvent des formes en
départ de la blancheur du fond qui, dans cette envolée, sont métamorphiques : la fleur papillonne, le papillon fleurit.