Libéré du néant, j'avais désormais le sentiment d'une mission accomplie. Plus rien ne me retenait.
Me restait à trouver ma prochaine destination.
Je me saisissais de la toile, et en explorais les fils les plus ténus comme les plus savants.
La proximité du vide m'amenait à envisager l'orbite géostationnaire. Je rentrais dans le programme
Myriade, mais il était gardé par le cerbère Al Katel. J'apprenais toutefois, par la porte entrebâillée, le moyen de parcourir de grands espaces depuis mon clavier, en apprivoisant les puissances de dix mille. Je bricolais donc un macroscope, grâce aux articles éclairés trouvés dans
une vieille base d'articles scientifiques.
Je trouvais rapidement le pays des dix mille lacs. Mais le Minnesota n'est drôle que pendant le
festival. Je remontais au Nord, survolais rapidement la
Vallée aux dix milles fumées, et m'arrêtais avant d'approcher l'Orient aux dix mille choses. J'y pénétrais par la Corée, sur la
Montagne des dix mille bouddhas. Mais le climat m'effrayait, et je décidais de rejoindre l'Empire des Dix Mille Années, pour m'installer au cur de la cité interdite, dans le
Pavillon des dix mille bonheurs.
Le calme de l'ancienne lamasserie tranchait avec l'effusion de la capitale chinoise. Mais la Cité Interdite est devenue un vaste disneyland, et c'est avec entrain que je reprenais ma route vers le Sud. Je filais prendre un thé dans l'ancien royaume de Nanzhao, près de la Tombe des Dix Mille Soldats de l'armée de la dynastie Tang. J'y vis la couleur de sang des rives du
lac Erhaï. Et je m'arrêtais, indécis. Descendais-je encore plus bas ? En Birmanie, où dix mille hommes venaient de prendre d'assaut la forteresse de la résistance birmane ? A Hong Kong, voir le
Monastère des dix mille bouddhas ? Ou remontais-je au Tibet, voir le
Pango Chorten, stûpa aux dix mille figures ? Et après ? Traverser les steppes sur un légendaire
Tumnii ekh, ces destriers "chefs des dix mille", et avec, rejoindre l'Europe par Katyn, découvrir les
10 000 perdus ?
Ou gagner l'Iran, sur la trace des
10 000 immortels de l'armée Perse ? Et de là parcourir l'Egypte, sur les pas d'Isis au dix mille noms ? Mon arrière grand oncle l'avait déjà fait. Je me mis en lecture. La Kundalini, l'énergie primordiale enfermée dans l'église d'Ephèse, m'appris que, partant de nos anus, la kundalini ouvre nos chakras, et que, lorsque elle atteint la glande pinéale, elle ouvre le dernier d'entre eux, le chakra aux dix mille pétales resplendissants, la couronne qui brille sur la tête des saints.
Hésitant entre la Gaule et la Chasteté, je ménageais chèvre et chou, et me tournais vers l'exégèse de la lyonnaise Sainte Irénée. J'appris là que l'enseignement était pareil aux vignes à dix mille branches, dont chacune supporte dix mille rameaux, sur chaque rameau dix mille sarments, sur chaque sarment dix mille raisins, et que chaque raisin donne vingt-cinq mesures de vin. Enivré par une telle perspective, je bouclais donc mon tour sur la colline sacrée de la capitale des gaules, enfin prêt à sauter le pas, à plonger dans le nectar, certain désormais que je détenais la clé du monde, j'en connaissais l'infini contenu. Il suffisait de cent pas de côté pour entrevoir l'infini. Je piquais mon doigt, le levais face au vieu Dieu Lug. Mon essence de donneur universel se projeta en arc en ciel face aux rayons du soleil, retomba en une myriade de couleurs, pour dessiner un carré de sang.