De quoi on parle?
Disons de l'art
Oui, merci.
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Mais moi, le lard, j'en parle toute la journée. Donc la question, c'est : pourquoi on en parle ici, pour qui ? Juste pour quelques uns d'entre nous, pour se dire tout le bien qu'on pense de machin et regardez celui-là qui c'est qui le connait c'est moi ?
Moi je veux bien parler d'art, mais pas seulement à ceux qui le connaissent. Je veux bien qu'on m'en parle, mais qu'on me dise pourquoi on m'en parle. Pourquoi on me parle d'untel. Quelle importance ça a pour celui qui montre.
Je crois que c'est pour ça que là, pour le moment, j'ai du mal.
Beaucoup de peinture, un peu moins de sculpture et d'art-vidéo, aussi de théâtre grâce à l'Autruche
Tout ça c'est des étiquettes.
Le reste des questions :
Ben, il faut que je t'avoue un truc, on voulait prendre le pouvoir dans le bar, tu vois, comme une insurrection graphique, comme ça (une vieille histoire que tu connais) :
Hmm. Vous me l'auriez demande, je vous l'aurait dit, y'a pas de quoi appuyer son pouvoir, ici.
Mais ceci dit, l'art, c'est aussi un discours sur le pouvoir. Et sur le monde. Et sur l'amour. Et sur le sexe. Et l'art contemporain, notamment, ne peut pas se résoudre à n'être qu'un discours sur l'art.
Tiens, moi je vais essayer de vous parler d'une seule chose, parce qu'elles me sont apparues encore hier soir :
Les Poupées d'Hans Bellmer
La plus célèbre, certainement (celle qui a inspiré Mamoru Oshi pour
Ghost in The Shell, entre autres) :
et d'autres :
Elles sont
quasiment toutes là. Mais les photos sont de piètre qualité.
Depuis le temps qu'elles traversent mon champ de vision, elles ne cessent de m'interroger, les poupées d'
Hans Bellmer. Elles s'inspirent de l'esthétique classique de la poupée de cire, celle que toutes les petites filles possédaient ou révaient de posséder, à la fin du 19°, au début du 20°. Mais elles sont restituées, régurgitées, comme les reliquats des fantasmes de leur créateur.
Certaines portent les stigmates d'une violence qui devait être la violence projetée par Bellmer. La sienne, ou cellle de son époque.
C'est au milieu des années 30. Le surréalisme est là, et avec lui, le sexe, libéré par les années folles, est entré de plein fouet dans l'art. Un sexe différent de celui que celui que l'histoire du "Nu"* a représenté jusqu'ici. Un sexe dérangeant, beaucoup moins facile à appréhender, beaucoup plus subversif, qui ne se contente pas de montrer des corps, mais qui interroge le fait de les montrer. Et, dans le cas des poupées de Bellmer, le statut même de ce qu'il montre. Des femmes ? Ces femmes libérées des années folles, auxquelles les hommes refusent pourtant un statut d'égalité ? Des objets, des artefacts, comme des poupées gonflables avant l'heure ?
Et puis il y a cette façon de les mettre en scène. Disloquées, distordues, comme si ces corps d'albatre sortaient démembrés d'une trop longue partie de plaisir avec leur créateur.
Et pourtant, ce sont des objets. Ils n'ont de vie propre que dans la tête de celui qui les a conçu, et dans celles de ceux qui les regarde.
Je les regarde, je les connais sous toutes leurs facettes, et pourtant elles continuent à me déranger, à m'interroger. Sur moi. Sur les femmes. Sur le sexe. Sur l'art. Sur le sexe comme art. Sur l'art comme accessoire de plaisir. Sur mon propre corps.
Elles vous dérangent, vous ?
*pour ceux que cette histoire du Nu intéresse, il y a ce livre beau et très facile de Jean-Luc Nancy et Federico Ferrari,
Nus sommes, la peau des images. Qui a en plus le bon goût de ne pas être cher. Très bien pour briller dans les conversations libertines, et en apprendre un peu sur le rapport de l'occidental à son corps.
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