Le labo de PVPBP

Autant l'avouer d'entrée : je n'aime pas les portraits photographiques pris sur le vif en forme de "têtes de vaches" (comme on dit au cinéma de ces cadrages de visages qui bouchent l'écran). Car l'image suggère une tête en chair et en os qui me ferait face à quelques décimètres de distance. Je ressens toujours une espèce de mouvement de recul à leur vue : le besoin d'augmenter la distance. Je vais pourtant essayer de commenter un portrait en gros plan affiché récemment aux «Cimaises» par SirDeck. Parce que ce n'est plus une photo de "tête de vache" sur le vif : c'est une peinture.

SirDeck : Allégorie

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Le modèle photographique (une tête d'homme vue de trois-quart face occupant complètement l'intérieur du cadre au format "en portrait") a, en effet, été retravaillé par des effets picturaux. Une pellicule semi-transparente, au bord déchiqueté, couvre la moitié supérieure du champ de l'image, voilant les yeux et le front et laissant découvert le bas du visage à partir des pommettes et de la moitié inférieure du nez.

Pellicule d'un vert céladon passé contrastant le sépia de cliché ancien : couleurs complémentaires.

Assurant la continuité de grain de l'image, un rendu pointilliste comme en affectionnait Seurat. Impressionnisme : prédominance de points de lumière, diluant les formes et abolissant la profondeur.

Superposée à cette texture impressionniste, une construction cubiste de l'image : losange du visage, mi-céladon mi-sépia, concentrant la lumière, encadré de quatre triangles d'ombre d'intensité inégale.

Paradoxe pictural : un cubisme pointilliste. Formes géométriques et granularité continuiste.

Point de focalisation visuel : l'œil droit, seul apparent, à la fois recouvert par la pellicule céladon passée et transparescent à travers. Recouvert et transparescent : ce paradoxe oriente mon attention sur la limite dentelée de la pellicule céladon qui recouvre le haut de l'image. Un effet de craquelure et d'épaisseur de bord plus sombre : comment ne pas penser à ces fresques antiques, quand l'érosion du temps, ou le grattage volontaire d'un archéologue, décape d'une couche ultérieure de badigeon le gisement de la peinture originale ?

Allégorie des rapports entre peinture et photographie. À première vue, la photographie se tiendrait "sous" les couches de la peinture, comme le bas photographique du visage sous la pellicule peinte céladon : l'authentique "sous" le factice. "Sous" au sens de : plus près du "réel". Mais la suggestion de la fresque décapée dit autre chose : car sous le badigeon qui recouvre une fresque, ce n'est pas le "réel" qui se tient, mais une "image peinte". Sous la pellicule céladon, ce bas de visage photographique qui émerge dans le sépia irréaliste des anciens clichés : ce n'est pas du réel qui se montre, mais de l'image.

Peinture & Photographie, dans leur différence de texture illustrée par le contraste entre la pellicule céladon et le cliché sépia, sont comme des arts complémentaires (ce que figure la symétrie cubiste du demi losage peint en vert et du demi losage cliché en sépia pour rendre un visage) unis dans une continuité suggérée par le pointillisme généralisé du rendu : la continuité de l'art.

«L'art ne montre pas le visible - il rend visible» a dit Paul Klee. L'art ne produit pas des images suggérant la présence des corps, ce qui, par la puissance d'une telle suggestion du physique à partir de l'iconique, induirait un effet direct sur les sens. Comme si voir l'image d'un poulet dans une nature morte de Chardin allait me mettre l'eau à la bouche, par la suggestion "en corps" d'une cuisse croustillante à mastiquer. Non. L'art métamorphose au contraire les corps en images, pour en rendre visible l'«eidos» : la «forme» enfoncée dans la «matière» (comme aimaient dire plaisamment les Scolastiques). Les corps ne sont pas les "sujets" de l'art, mais ses "modèles".

À la fin de la «Recherche du Temps Perdu», dans le «Temps Retrouvé», le narrateur (Marcel) atteint une illumination rétrospective. Les femmes qu'il a rencontrées : Odette, Gilberte, Albertine... «c'est comme si elles avaient posé successivement pour moi dans le temps» à la manière de modèles pour un peintre, afin que je saisisse leur «eidos» : leur Forme Immuable, et que je la restitue en image.
 
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[Il y a longtemps que cette photo m'avait tapé dans l'œil]

S'pa étonnant… :rolleyes:

[C'est les vacances. Allons-y en mode "touriste"...]
N'oublie pas la crème solaire sur les oreilles ! :dead:

à savoir que la Réunion est une île
:eek:
Il tombe, en effet, sur cette étrange œuvre de Land Art - art dont le propre, si l'on en croit Emmanuel Kant […]

:bookworm: merci :meh::hilarious:

[…]ce qui saute aux yeux comme le motif central de ce tableau : cet appendice d'un rouge criard contrastant la religiosité des pastels bleus et blancs. Pris isolément, ce piment rouge ne manque pas, certes, de me renvoyer aux images enfantines de zizis de chiens de fermes en rut, à la campagne.

:spam: :bored:

:coucou:

p.s: erreur de saisie à 3h16 et post suivant à 5h. Tu t'es fait coincer dans le changement d'heure ? :D
 
Punaise tu as été capable de lire de bout en bout et dans les détail la prose de macomaniac! :bookworm: :eek:
Belle performance! Personnellement c'est au dessus de mes forces :banghead: :D

☝︎
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C'est parce que tu n'es pas modo. Être modo (ou l'avoir été comme Tucpasquic flotow :coucou:) démultiplie les facultés de lecture de l'homme. J'y vois comme un écho de cette élévation décrite par Jean-Jacques Rousseau dans le «Contrat Social» en ces termes :


Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C'est alors seulement que la voix du devoir succédant à l'impulsion physique et le droit à l'appétit, l'homme, qui jusque-là n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants. Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s'exercent et se développent, ses idées s'étendent, ses sentiments s'ennoblissent, son âme tout entière s'élève à tel point que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en arracha pour jamais, et qui, d'un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme.

:bookworm:
 
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Punaise tu as été capable de lire de bout en bout et dans les détail la prose de macomaniac! :bookworm: :eek:
Belle performance!
Être modo (ou l'avoir été comme Tucpasquic flotow :coucou:) démultiplie les facultés de lecture de l'homme.
Enfin tout est relatif comme disait Albert (E, pas -r): Il lui a fallu trois mois pour lire le post, le digérer, l'assimiler et en tirer la substantifique moelle :cool::D
 
Salut les gars ! :coucou:

J'attends toujours avec impatience et délectation les posts de @macomaniac ... Je m'empresse de les copier/coller pour aller m'en repaître dans le bas du forum ! En effet, ici, dans les cîmes l'oxygène se raréfie tellement vite que mes petits (et vieux) poumons n'arrivent plus à suivre ! :D
 
Il lui a fallu trois mois pour lire le post

M'a fallu la journée pour comprendre que flotow citait des messages sans lien avec le message de maco juste au-dessus. Post que j'ai bien lu trois ou quatre fois à la recherche de Kant, d'une île ou d'un appendice religieux en vain. Ce n'est qu'en cliquant sur une des citations que je me suis trouvé projeté deux pages en arrière pour tomber nez-à-nez avec sa composition de chiffons. Ça n'est pas facile tous les jours… :oops:
 
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@flotow : je suis épaté du dégradé du noir au gris des différents plans :dead:. Des heures de post-prod, un appareil et des objectifs de la morkitu couplés à une technique de pointe, un choix parmi quarante-douze photos prises en rafale avec des réglages différents, un coup de bol monstrueux ? Si tu pouvais expliquer :cool:
 
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Je n'ai presque pas touché aux réglages : tons clairs, tons foncés, un petit assombrissement de la partie basse, et une courbe à peine ajustée (79,2% au lieu de 78%, le deuxième point, c'est pour bloquer l'éclaircissement des tons foncés).





J'ai essayé de ne pas être trop sensible, juste assez pour garantir une photo nette.
Après, le D800 aide pas mal :eek: il donne des bons résultats pour commencer sereinement :muted:

J'ai fait une 30aine de photos, des paires en rafales hautes (1/60ème à 200mm à main levée, même stabilisé, ce n'est pas facile que ce soit net). La seconde photo de la paire est toujours la meilleure. Je fait ça pas mal quand je n'ai pas de trépied (au musée, etc.)

Après, comme le temps change, du début à la fin de la prise de vue, ça évolue pas mal. Ça ne fait pas exactement 15 prises de vue de la même chose.
Là, j'aurais pu utiliser le trépied… sauf que je l'avais oublié à la maison en partant… :dead:
 
Dendrimere : Finis Terrae

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Voilà une photo qui n'a rien d'ordinaire. Car elle montre la fin de l'ordinaire. Elle emprunte au Rêve son noir & blanc : le noir & blanc de l'enfance découvrant la Mer.

Les Grecs, habitués à voir partout l'horizon de la Mer, se figuraient dans l'Infini Violet un sein nourricier des formes polychromes finies de la Terre.

Fable démentie à la première rencontre de l'enfance avec la Mer. La plage de sable blanc s'enfonce dans l'océan du noir : la Mer sombre et le Ciel vide. Finis Terrae - Finis_Terre : la Fin de la Terre.

Dessinée à l'encre de Chine dans le blanc du sable : une estacade de béton coupée net dans son avancée. La lumière oblique inversant les proportions sur le sable : silhouette d'un entablement massif écrasant de trop grêles pilastres. Ombres couchées figurant l'avenir de l'édifice debout : le quart de tour imminent de sa chute. Façade de temple Grec évidé.

Au bout de cette perspective d'écroulement suspendu qui ressemble à celle une longue-vue retournée : un minuscule gisant nu dans l'objectif du Finis_Terre.

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Cette photo extra-ordinaire, elle m'a rendu la rencontre de l'enfance avec la Mer. Au commencement de l'Histoire est la Fin de l'Histoire. « In my beginning is my end... in my end is my beginning » (T.S. Eliot - East Coker). Illumination sans Histoire : lumière métaphysique - vision métaphysique.
 

Jean-Paul Mission - Nocturne


En contemplant cette photo sublime de Jean-Paul Mission, je suis l'enfant que je suis toujours. C'est le soir. Le plafond de la grande pièce commune à la campagne est plein d'ombre. Une lampe à suspension éclaire le grand livre d'images : « Choix de textes de l'Ancien Testament ». Les images montrent des hommes habitant la Terre ocre sous le plafond bleu du Ciel : la Maison du Monde.

C'est une pareille « Image Biblique » que délivre cette photo nocturne. Dans son conte : « Pierrot ou les secrets de la nuit », Michel Tournier oppose les figures d'Arlequin, le peintre, et de Pierrot, le boulanger. Arlequin est cantonné à ce que montre le Jour dans la lumière irradiante du soleil : l'extériorité de surfaces aux couleurs vives. Pierrot, de son côté, a la révélation de la Nuit : la Profondeur qui rayonne dans l'intimité des éléments.

La Nuit déploie l'arche courbe d'un Toit de tente sur le désert du Namib. Voûte piquetée d'étoiles laissant goutter une lumière lactée qui donne un Foyer Maternel à la Terre.

Le Désert ne s'échappe pas « ailleurs », dans la platitude d'une ligne de fuite indéfinie : là-bas. Ici-même est la « demeure » : la maison de la Terre sous le toit du Ciel. Camper à même le sol, c'est « habiter ».

Dans le rayonnement de la « Présence » : je suis - je suis toujours.

 

Bonjour, est-ce que cet effet brumeux est intentionnel ? ou la compression peut-être ? , l'ensemble se tient mais il y a un problème avec le point de fuite en effet cela tombe sur la gauche ; peut être un recadrage mais il serait dommage de perdre le mât et son reflet comme point d'équilibre.
 

Fichiers joints

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je suis effectivement de ton avis ;)
 
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